Le cool est mort, vive le cool
Chaque semaine une rubrique des Inrocks se demande « Où est le cool ? » Mais existe-t-il encore ? Comment définir le cool aujourd’hui ? Est-ce la nouveauté ? Qui incarne le cool, l’individu ultra connecté ou celui qui s’en bat les steaks ? Est-ce que mes parents sont cools ?
Un mot galvaudé
Certaines personnes (jeunes et parfois, moins jeunes) le glissent dans une phrase sur deux. Par réflexe, par facilité. C’est qu’il en faut du vocabulaire pour synthétiser toutes les dimensions du cool dans la langue de Molière.
Le terme « cool » s’immisce dans nos conversations quotidiennes, nous échappe mécaniquement, si bien qu’on ne le remarque plus. A force de l’utiliser sans y penser il est vidé de son sens. Qu’un groupe de « techno variété » ayant su élever la ringardise au rang d’art choisisse de s’appeler les « Salut C’est Cool » témoigne du caractère désuet du mot.
Devenu consensuel et désengagé il permet de passer directement à autre chose, d’éviter de donner son opinion ou de débattre. D’ailleurs la presse dîtes branchée ne se rabaisse plus à l’employer. Il ne subsiste à l’écrit que dans certains médias mainstream.
Aux origines du cool
L’expression « cool » est aussi universelle que polysémique. Les linguistes s’arrachent les cheveux sur son sens exact et sur son origine.
Le mot était utilisé dans les années 1930 aux États-Unis par les communautés noires et signifiait « à la mode ». Ses racines seraient bien plus anciennes. Certains historiens font remonter son apparition à la période de l’esclavage. Le cool était alors une attitude de rébellion plus ou moins passive des esclaves Africains. Ils l’utilisaient de manière très ironique pour provoquer leurs maîtres blancs sans que ces derniers ne puissent s’en rendre compte. Au départ l’attitude cool est donc une forme de résistance à la soumission et à l’humiliation.
Le cool est une notion polysémique. Le mot « cool » signifie « frais » en anglais (d’où le fameux « c’est frais » des Parisiens). A la base, être cool c’est être décontracté, désinvolte, détaché. En un mot, libre. Puis le sens a glissé vers super, génial, beau, stylé, branché, bien, okay. Il s’est transformé en mot-valise pour dire à la fois tout et rien.
En 2012 le mot « cool » a été furtivement concurrencé par le mot « swag » (qui lui n’a pas survécu). Ce terme popularisé par les rappeurs américains provient à l’origine de « swagger », qu’on peut résumer ainsi: « manière de se présenter au monde avec confiance et style ».
Le cool aujourd’hui
Adepte de la slow life, le cool originel s’inscrit dans une posture de réaction au monde. En réponse à une société de moins en moins cool, rester cool serait un moyen de survivre et de conserver un semblant de légèreté. Dans La coolitude comme nouvelle attitude de consommation, Isabelle Barth et Renaud Muller le définissent ainsi : « une alternative à la résistance et au retrait est la coolitude, une façon d’être, d’exister, sans « être là »».
Le cool est fluide. Miroir de l’époque il se renouvelle sans cesse. Il réside dans l’art de simuler l’insouciance, de transgresser à l’intérieur des clous, de singer la norme sur un ton ironique pour mieux s’affirmer. Or en ces temps de suprématie de l’image on est passé de l’état d’esprit à la posture. Le cool réside désormais dans l’apparence plus que dans l’attitude.
En plus d’être subjectif, le cool actuel puise son inspiration partout, dans toutes les époques. Son hybridité le rend indéfinissable. A l’heure des flux en continu on peut se réjouir autant que déplorer l’existence de cette culture globale du cool. Certes l’horizontalité des échanges qu’offre Internet et les réseaux sociaux permet un métissage du cool. Seulement on assiste par la même occasion à la diffusion d’un gloubi-boulga d’éléments non sourcés et non hiérarchisés que notre cerveau n’a pas toujours le temps de digérer.
Un cool mondialisé
Le cool est loin d’être cantonné à la culture occidentale. En témoignent le néo-dandysme des SAPEURS du Congo (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes), le style gang des Cholas du Mexique ou la culture Zef en Afrique du Sud (popularisée par le groupe Die Antwoord). Les procès récurrents en appropriation culturelle montrent bien que la mode puise son inspiration sans se préoccuper des frontières. En pole position de ces emprunts opportunistes: la culture street noire américaine. Les stars y piochent d’ailleurs allègrement pour faire rejaillir sur eux un peu de ce « cool ».
A l’origine le cool est black et il le restera. L’aura de Barack Obama serait-elle aussi cool s’il était blanc ? Kanye West pourrait-il être Kanye s’il était blanc ? Dans une logique de provocation similaire au cool originel on voit les jeunes noirs et latinos issus de milieux populaires utiliser la posture cool comme un moyen de défendre leur individualité dans un monde où ils sont régulièrement méprisés ou sous-évalués.
Nostalgie et jeunisme, l’injonction paradoxale
Le cool n’est plus l’apanage de la jeunesse. Mais lorsqu’il est d’âge mûr, le cool se trouve du côté de la débauche, de l’irresponsabilité, de la folie. Steve Buscemi est cool. Pourquoi ? On ne sait pas vraiment. Jeff Lebowski aka le Dude est cool. Hank Moody est cool. Le cool féminin a encore du chemin à faire même si Patti Smith, Lena Dunham ou Kate Moss sont effectivement cools. Même Céline Dion est érigée en papesse du cool.
Si le cool n’a pas d’âge, l’attitude jeune reste une condition sine qua non. Car la jeunesse est l’épitomé du cool. Que dit de nous cette avalanche de « cool kids » dont les designers de mode raffolent puis se débarrassent passé l’âge canonique des 20 ans ? Ces stars et autres influencers, auxquels le public est censé s’identifier, dont l’âge moyen ne cesse de reculer ? Nouveauté et jeunesse sont à présent synonymes. Le jeunisme est partout dans cette société consumériste auquel le cool était censé s’opposer, traduisant une forme d’hypocrisie.
Le cool d’aujourd’hui est 90’s ou 00’s car l’enfance est le dernier refuge de cette génération à qui le monde n’a plus grand chose à offrir. Les Millenials adoptent le style grunge ou rave d’une époque qu’ils n’ont pas connue, nostalgie inventée d’un temps béni sans smartphone ni réseaux sociaux. Une génération tellement paradoxale qu’elle fantasme sur l’époque pré-Internet alors qu’elle vit dans l’immédiateté permise par Internet, incapable de déconnecter plus de deux heures.
Certes question mode le cycle des 20 ans est atteint et le style de cette période devait irrémédiablement revenir sur le devant de la scène. Mais à cause de l’omniprésence de l’image et l’exposition permanente aux regards des autres chez les 18-35 ans ce revival prend une autre dimension. Tout doit être ultra visible, extrême, surjoué.
Le paradoxe du cool
Le cool de consommation
Avant le cool ridait, surfait. A présent il est surfait et constitue une stratégie privilégiée du marketing et de la publicité qui cherchent à capter le cool à leur profit. Le désir d’« être cool » commande l’acte d’achat. Parce que nous souhaitons cultiver nos relations humaines, se rendre « populaires », certains produits nous attirent davantage que d’autres. Le cool contemporain est indissociable de la société de consommation. Le cool fait vendre et chemin faisant il perd de sa substance.
À force d’être imité le cool devient une nouvelle norme. On se libère d’un carcan pour mieux entrer dans un autre. La quête de l’originalité sans fin prend peu à peu la forme d’un hyper-conformisme. Le hipster fut cool. Le bobo fut cool. Aujourd’hui il est contraint à une autodérision sans faille pour continuer à exister dans sa forme originelle (s’il a jamais existé). Le vegan fut cool. Maintenant il en fait vomir plus d’un. Se dire cool c’est prouver, indirectement, qu’on ne l’est pas. Se prévaloir de la tentation mainstream est la clé pour rester dans le cool.
La tyrannie du cool
Le cool a viré à l’injonction contradictoire. La double position permanente de personne à la fois juge et jugée favorise le développement d’une « société du mépris ». L’incitation à l’expression de soi, à la réalisation individuelle, génère au final plus de souffrance que d’épanouissement. L’individu devient entrepreneur de lui-même et soumet son « capital » à l’approbation des autres, prenant le risque de s’enfermer dans une quête narcissique et une auto évaluation permanente. Isabelle Barth et Renaud Muller expliquent que « cette privation d’une possibilité d’estime de soi stable, de sécurité ontologique, de se savoir reconnu en tant que tel, au-delà des enjeux d’image, est source de confrontation permanente du sujet à ses limites, et de honte ».
En cette ère d’ultra connectivité l’image du cool a remplacé le cool. Dans un jeu de comparaison et de rivalités incessantes le regard des autres s’est changé en addiction. L’exigence de se réinventer sans cesse fatigue. On constate l’étalage sur les réseaux sociaux d’une décontraction ultra travaillée. Il n’y a plus de mystère, on connaît tous les rouages du cool. De nos jours, est cool celui qui a une tribu de semblables d’un même niveau de coolitude. Qui refuse l’immédiateté, le solitaire qui trouve son équilibre dans le retrait et la réflexion, n’est plus considéré comme cool.
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