Ou comment le double discours est devenu caractéristique de la presse féminine
Après l’achat impulsif de quelques magazine de mode j’ai connu une énième déception face à la futilité du contenu. Malgré le mouvement me too, la presse semble continuer de servir un système de représentation qui n’a plus lieu d’être. J’ai donc voulu dresser une liste non exhaustive de dix contradictions récurrentes dans les pages de cette presse dite « féminine ».
1- Prôner une « émancipation » de La Femme tout en abreuvant les lectrices de conseils pour améliorer leur apparence et leur relation avec les hommes (le comprendre/s’écraser/ouvrir les cuisses). Le féminisme est mort, vive le féminisme pop !
2 – Brosser le portrait de femmes puissantes et successful tout en favorisant une image léché au détriment d’articles de fond (qui aiderait pourtant Madame la lectrice à développer ses facultés cognitives).
3 – Attendre le joli mois de mai pour aborder le combo sport/régime mais véhiculer un modèle d’extrême minceur toute l’année (oubliant accessoirement qu’on assure l’efficacité d’une pratique sportive par la régularité).
4 – Lancer une pseudo « mini-révolution » en mettant des rondes bien foutues en couverture tout en exhibant de maigres mannequins les 11 autres mois de l’année et en « recommandant » tous azimuts crèmes anti-cellulite, massages drainants et abdos-fessiers.
5 – Aborder ENFIN la femme au travail mais en choisissant des angles réducteurs comme les relations avec les collègues, la confiance en soi, le cumul emploi-grossesse ou la compétition avec les hommes.
6 – Revendiquer la libération sexuelle et l’hédonisme mais parler sans arrêt du « couple » comme d’un modèle de vie unique, et coupler ce discours avec des injonctions à donner du plaisir à son mec ou à le garder « grâce au sexe ».
7 – Parler en permanence de sexualité de manière « libérée » mais ne s’adresser qu’aux femmes hétérosexuelles, laissant de côté une partie de la gente féminine (auquel la presse gay ne s’intéresse pas non plus).
8 – Publier des articles sur le « bien vieillir » et faire en même temps preuve d’un jeunisme absolu, que ce soit dans les domaines de la beauté, de la mode ou du lifestyle. Vieillir, OK, devenir une vieille, NON.
9 – Porter aux nues la femme indépendante, forte et intelligente tout en n’abordant très rarement des sujets politiques ou économiques, pensant à tort qu’ils sont « masculins » et que le lectorat s’y perdrait. La femme, une ignare comme les autres ?
10 – Être étiquetée « presse » féminine tout en finissant par n’être qu’un catalogue de produits de beauté (offerts et non « testés ») et de total looks imposés par les marques afin de satisfaire les annonceurs (ils représentent 70% du chiffre d’affaire de Condé Nast). On cantonne la femme à un consumérisme effréné et écervelé complètement dépassé.
Illustration avec l’anatomie d’une couverture de Biba :
« Faire des rencontres ça se décide ! (promis on vous dit comment) ». Bah oui, l’objectif primordial pour toute femme qui se respecte : trouver un mec (et lui faire deux mioches), pour enfin accéder à un vrai STATUT dans cette société.
« Décodage : ses phrases en vacances = ce qu’il pense vraiment ». L’occupation principale de Madame: se creuser la tête non-stop pour savoir ce qu’il pense VRAIMENT. Ce afin de « favoriser la communication », « faire durer son couple », tout ça, tout ça. Parce que bon, son compagnon c’est toute sa vie à la lectrice Biba.
« Vécu – Ça, il n’y a qu’un mec pour le faire (et en rire) ». Le mâle, cette espèce velue aux rites étranges éternellement incompris par sa femelle fixe. (Les mecs auraient-ils le monopole de l’autodérision ?)
« Phénomène – Elles vivent avec un homme.. au foyer ! ». Nan mais attends, Jeanine, tu veux dire que tu le laisses utiliser ton Vorwerk ?!? A quand son ersatz masculin « Phénomène : ils vivent avec une femme.. qui travaille ! ».
Le titre qui s’étale en grand sur la couverture : « Astro love : toutes les bonnes surprises amour et sexo de votre été ». Alors non seulement la lectrice Biba est une espèce de greluche naïve et superstitieuse mais en plus, entre le couple et le cul, il faut choisir. Les deux c’est pas possible ma bonne dame !
« Beauté – A moi les belles fesses ». Eh oui, à grand renfort d’images exhibitionnistes du booty de Kim K ou Cardi B, le postérieur a gagné ses lettres de noblesse. Les miches, les nouveaux nichons ?
Si on fait les comptes, 7 titres sur 10 parlent des hommes ou du couple. Et ce n’est pas être féministe que de dire cela.
Quid de thèmes similaires en couverture de QG ou Esquire ? « La femme parfaite existe-t-elle ? » ou « Comment rencontrer une femme aujourd’hui? », car c’est bien connu, lui aussi cherche une princesse charmante depuis sa plus tendre enfance. Ou bien : « Lorsqu’elle dit non, veut-elle vraiment dire non ? », « Help, ma copine regarde du porno », « Réussir son couple : s’écraser et faire des compromis pour la garder à tout prix » ? Ou encore : « Les conseils style des mecs enrobés mais qui choppent quand même » ? Ou même « Anatomie : à moi les belles boules » ?
Quant aux hebdomadaires d’actualités ils sont trustés de publicités destinées aux hommes. Au cas où moi, pauvre femme limitée, je n’aurais pas bien compris que ce magazine ne s’adressait pas à moi en priorité. Combien de temps devrons-nous encore attendre en France avant d’avoir un magazine intelligent et non genré mêlant mode, art, culture et médias, comme le Dazed & Confused ou le I-D ?
La liberté de ton et la folle modernité du Stylist France apporte peut-être une réponse (encore qu’il s’agit d’un magazine anglais à l’origine, eh oui encore eux). Et le changement de ligne éditoriale chez Marie-Claire et Madame Figaro redonnent un peu d’espoir. Mais en France la remise en question du rôle traditionnelle de la femme se joue plutôt sur Instagram. Des comptes comme tasjoui ou bordeldemères ouvre des discussions cash sur l’orgasme féminin ou le rapport à la maternité et explosent les clichés.
Un commentaire
Leave a Comment
J’adorerai faire un faux GQ avec des titres de féminins, quelle idée géniale! Ou un faux Le Point, avec en prime les pubs des féminins à l’intérieur… Bref, on sait ce qui nous reste à faire.
PS : tu as oublié le Canard