Coup de génie ou arnaque totale ?
La tendance sévit encore dans les rues parisiennes et je me surprends parfois à scruter une silhouette de bas en haut, des chaussures de marche au blouson 80’s, pour finalement m’apercevoir qu’il s’agit d’un jeune branché et non d’un papy touriste en goguette dans la capitale.
Néologisme né de la contraction des mots “normal” et “hardcore”, l’expression désigne un style vestimentaire qui véhicule une image d’ultra-normalité. Confort et casual sont les maîtres-mots (petit bémol pour nos amis journalistes qui confondent parfois (souvent) minimalisme et normcore). Comme toutes les dernières tendances underground elle est unisexe.
Kézako
Les normcores choisissent à dessein des vêtements qui sont justement censés ne pas les distinguer de la masse. Et étrangement, aux États-Unis la notion de normcore évoque le no look style Gap (référence culturelle oblige) alors que pour les européens il s’agit plus d’un no look abusivement confortable au parfum vintage. C’est le revival 80’s-90’s poussé à l’extrême car dépossédé des couleurs funky et des imprimés colorés qui font tout son charme. Ces pièces sportswear basiques sont devenues tellement cultes qu’elles finissent par se suffire à elle-même. Pour exemple, le style et l’univers du groupe de musique frenchy Salut C’est Cool est la quintessence du phénomène normcore.
Certes, tout a été dit e redit sur cette tendance. On sait que le phénomène fut viral et s’est répandu à vitesse éclair. Mais avec du recul, que faut-il en penser ? Faut-il y voir une tendance qui va lentement se répandre au sein de la population normale ? Une blague de journalistes qui aurait mal tourné ? Ou une vaste arnaque où les prescripteurs finissent par être victimes de leur second degré ?
Mode ou anti-mode ?
Le normcore : tendance ou épiphénomène ? Absence de style ou post-hipsterisme sur le mode d’une uniformisation en réaction au culte de l’individualisation de nos sociétés modernes ? Partout la mouvance a été interprétée comme une saturation provoquée par le renouvellement incessant des tendances dans la mode. Une chose est certaine : une fois le look du hipster devenu mainstream, le mot lui-même dénué de sens, les branchés ont bien été obligé de trouver nouveau moyen de se distinguer.
Mais une question me taraude : à partir de quand peut-on déterminer qu’un code vestimentaire devient une tendance ? « Trend is a dirty word » répondait Anna Wintour à Tim Blanks de style.com qui lui demandait son avis sur les défilés Automne-Hiver 2015 de New-York, sous-entendant ainsi que le style a toujours l’ascendant sur les modes. Au départ la presse s’est demandé si la tendance avait donné naissance à ce néologisme ou bien l’inverse. Car même si les early adopters sont rarement avares d’ironie et d’autodérision, la prétention atteint ici des sommets. A savoir, clamer haut et fort que son apparence ne compte pas tout en choisissant intentionnellement des pièces excessivement passe-partout.
Aucune chance de prendre ce jeune homme au corps athlétique, aux cheveux méchés et au look normcore pour un ringard de la dernière heure. Le look normcore est surtout caractérisé par le type de personne qui le porte. Car cet art du non-style n’est pas si simple à maîtriser. A ce propos, courrez voir ce diapo hilarant de l’article du New York Times intitulé Normcore vs Fauxcore.
Mais POURQUOI ?
Les hipsters ont fait une boucle, à force de vouloir se singulariser ils ont fini par tous se ressembler. Or comment outrepasser le concept de tendance ? En faisant de l’absence de tendance une tendance, pardi. C’est ainsi qu’après avoir atteint ce point de non retour dans la différenciation, le ringard est naturellement devenu « trendy ».
En transformant des personnes comme Steve Jobs en icônes de mode les normcores font un pied de nez à la mode. Dans un sublime paradoxe ils tendent vers une liberté de mouvement et de style, réclament le droit de n’appartenir à aucun mouvement spécifique tout en se maintenant au summum de la branchitude. Le terme est d’ailleurs souvent utilisé avec ironie par les modeux pour faire comprendre à leur interlocuteur qu’ils sont conscients d’être mal sapés au moment M (Ex : « Je suis grave normcore aujourd’hui »).
Le gimmick emblématique du normcore est le port de chaussettes de sport avec des sandales ou pis, des claquettes de piscine. Mais comment expliquer l’expansion d’une telle hérésie stylistique parmi nos amis les stars et autres influenceurs ? En ces temps de crise et de doute on pourrait se demander s’il ne s’agit pas tout simplement d’une sorte Madeleine de Proust, une réminiscence des étés d’enfance passés au camping, les Bronzés, tout ça… ?
Forever young
Plus sérieusement, il pourrait s’agir d’un retour à l’authenticité, à nouveau dans l’air du temps, et d’une volonté de sublimation de la simplicité du quotidien (ce que fait à la perfection le créateur Simon Porte-Jacquemus). Les gens semblent ressentir le besoin d’être rassurés par des stéréotypes connus et intégrés depuis l’enfance. A travers ce retour aux vêtements portés par les enfants et adolescents des 90’s on pourrait voir la réminiscence d’un âge doré, la période de l’innocence.
Mais chaque génération récente répète cette erreur d’idéaliser le passé ou même, pour une frange de la jeunesse contemporaine, de vivre dans une nostalgie inventée. En témoignent ces performeuses tout juste majeures qui se vivent comme des personnages de manga et mangent, dansent, chantent et s’habillent à la sauce manga 90’s.
La mode du normcore fait écho à un une tendance globale au retour aux années 1990, temps béni où les smartphones, les réseaux sociaux et les chaînes d’infos en continu n’existaient pas. Elle touche les domaines de la technologie, de l’approche low-tech en réaction à la surconsommation de produits high-tech à l’obsolescence programmée au retour aux massifs téléphones à clapet parfois carrément réédités.
Sans parler des ateliers de réparations-bricolage qui fleurissent en centre-ville dans des lieux conceptuels eux-mêmes aménagés grâce à la récupération d’objets divers (mise en abîme, bonjour). Conscients des limites de nos ressources et de la vacuité atteinte par la société de consommation nous entrons de plus en plus dans l’ère d’une économie de partage, communautaire, alternative et durable.
Être un normcore aux normes
Parmi les pièces fétiches de la mouvance normcore on retrouve denim oversize en total look, t-shirt uni en coton ouaté style Décathlon, chemise en jean large, k-way, veste zippé de campeur aux matières synthétiques, veste en jean tombant sur les épaules, pull en laine à motifs, pull en polaire the Northface (confort avant tout, hein), chez les filles mom jean et chez les garçons jean taille haute droit et délavé ou pantalon chino très large, chaussettes de sport blanches, chaussures de marche ou baskets (pour le sport) pour l’hiver et Birkenstock ou claquettes de piscine pour l’été (+10 si portées avec des chaussettes blanches).
Bien sûr cette tendance est très facile à adopter par petite touche, beaucoup moins évidente à arborer en total look. On peut se fournir en pièces normcore principalement en friperie, chez Urban Outfitters ou chez American Apparel (si on aime être un mougeon, hybride du pigeon et du mouton).
2 Comments
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Et la boucle est bouclée… On se souvient tous avoir beaucoup ri en voyant des photos de nos parents, avec ces airs assez rigards, et nous voilà aujourd’hui à la recherche de Stan Smith Originals ou de salopettes en jean rétro! Tout change, rien ne change..!
Comment le Ringard peut devenir « branché » les fashion victims sont des girouettes . Tant mieux le ridicule ne tue pas ….