Loin de moi l’idée de faire le procès du milieu de la mode. J’exerce dans cet univers et j’apprécie aussi bien sa richesse et son énergie créative que la qualité de ses acteurs. Mais les observateurs attentifs n’ont pas manqué de remarquer que le monde de la mode peinait à se renouveler, atteignant par-là la fin d’un cycle. La mode aurait-t-elle fini par se tirer une balle dans le pied ? Pour assurer sa survie il devient urgent qu’elle entre dans une nouvelle ère où le fond privilégierait à nouveau sur la forme. Mais encore faudrait-il trouver de nouveaux garde-fous à la fois libres penseurs et empêcheurs de créer en rond.
Vers la fin des « tendances » ?
Tout comme les années 1990 ont été le théâtre de la fin des grands courants musicaux influents, les années 2000 ont vu mourir la tendance pour mieux permettre au concept de style de renaître. Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler la célèbre phrase du non moins illustre Saint-Laurent (prénom : Yves), « Les modes passent, le style est éternel ». Malheureusement pour l’industrie de la mode, avoir un style bien défini est souvent synonyme d’un moindre besoin de renouvellement de la garde-robe, et donc d’achats moins fréquents.
Aujourd’hui l’adoption de tel ou tel style vestimentaire dépend plus de l’appartenance à une tribu déterminée que de la suivie aveugle et zélée d’influenceurs zappeurs. Le vestiaire « normcore », « minimaliste » ou « street goth » se compose d’autant de pièces qui constituent une base commune. Cet uniforme peut subir plusieurs évolutions mais le style reste identifiable et traverse les saisons. C’est dans cette multiplication de cultures, voire de sous-cultures vestimentaires, que le principe de tendances de mode semble s’être dissout.
De plus les codes vestimentaires symboliques des revendications identitaires (gothique, punk ou hippie) continuent d’être saisies par l’industrie du luxe jusqu’à l’overdose. A travers cet incessant ressassement du passé ils sont dépossédés de leur substance contestataire originelle (voir photo ci-dessus).
La lassitude vis-à-vis du phénomène des tendances peut aussi s’expliquer par le fait qu’elles reviennent en permanence sur le devant des podiums avant que le public n’ait eu le temps de les oublier. Les cycles ont considérablement raccourci passant de 20 ans à 5 ans, parfois moins. Si bien que les clientes ne savent plus si la tendance s’est essoufflée pour mieux revenir ou si elle n’a jamais vraiment disparu. Les cas de l’imprimé léopard ou du look 70’s sont symptomatiques de ce phénomène.
En réadaptant sans cesse des pièces des saisons précédentes jusqu’à l’épuisement, l’industrie de la mode brouille encore plus les pistes. La running de luxe foule les podiums depuis plusieurs saisons, parfois sans réelle justification stylistique et en totale incohérence avec la collection présentée. On en vient à penser qu’injecter des baskets ou tout autre gimmick street agit comme un écran de fumée de modernité pour cacher l’absence d’idées neuves. Le luxe lorgne du côté du streetwear et le réinterprète depuis plusieurs saisons jusqu’à se parodier lui-même. Or la parodie n’est autre qu’un point d’orgue qui survient après un long et lent déclin. Le futur de la mode passera donc nécessairement par un renouvellement.
Une certaine dégradation de l’image du luxe
En parallèle l’image de l’industrie du luxe s’est dégradée et ce pour plusieurs raisons. Nous sommes entrés dans l’ère de l’ultra communication où faire parler de la marque prend de plus en plus le pas sur le produit. Parfois jusqu’à modifier l’identité de la griffe. Des défilés au set design de plus en plus spectaculaires aux animaux domestiques rédacteurs en chef d’un jour en passant par l’élévation de personnes issues de la téléréalité au rang d’icône mode ou de top model, le maître-mot semble être v-i-s-i-b-i-l-i-t-é.
Le milieu semble avoir succombé aux sirènes du « show business » et petit à petit s’efface l’acteur essentiel de la mode : le vêtement. La mode a perdu de vue ce qui est nécessaire à sa pérennité et qui constituait autrefois son essence même : faire rêver, et donc avoir l’air inaccessible.
A ces signes de décadence nous pouvons ajouter la péréclitation du phénomène street style, la surproduction de collections toute l’année ou les nombreuses collections masstige dont l’intérêt pour l’image des marques est finalement limité. Quant au contenu des collections, les enjeux financiers de plus en plus lourds en ces temps de crise économique poussent les marques vers deux extrêmes : la provocation-communication sur les pièces dites « image » ou « presse » (voir photos ci-dessus) et le pragmatisme excessif, à la limite de l’ennui, sur les pièces commerciales.
Les incessants regards dans le rétro de la part des créateurs sont aussi le signe d’un certain essoufflement. Les marques puisent leur inspiration dans le style vintage afin de titiller la fibre nostalgique, surfer sur une nostalgie inventée (mal symptomatique des générations Y et Z) ou même par manque de vision.
La rapidité avec laquelle les géants du prêt-à-porter copient les collections a changé la donne. Les enseignes de la fast fashion proposent désormais en quelques semaines des ersatz de pièces des défilés, faisant passer le profit au-dessus de la sacro-sainte période de 6 mois entre la présentation des collections et leur disponibilité en boutique, rendant par avance les vêtements fanés et indésirables. Pour achever l’industrie du luxe ces marques adoptent désormais une communication haut de gamme aux antipodes de la qualité de leurs produits (voir photo ci-dessus).
Influence des réseaux sociaux et déclin de la presse féminine
La démocratisation du web a représenté une opportunité autant qu’une menace pour les marques de luxe. Avec l’avènement d’Internet et la récente explosion d’Instagram la surabondance d’images de mode peoplisée à l’extrême (jusqu’à la vulgarisation) vide de leur sens les contenus institutionnels. La nécessité de vendre a fait basculer la mode, pourtant un des derniers bastions du snobisme et de l’élitisme resté jusqu’alors hermétique à la culture populaire.
A cause de la crise de la presse papier la presse féminine est sommée de se réinventer (sachant que les femmes ont d’autres ambitions que de voir les mêmes tendances réexpliquées chaque année ou essayer la dernière épilation de maillot à la mode en plein mois de novembre). On perçoit au contenu éditorial que le besoin de satisfaire les annonceurs prévaut sur la qualité et l’innovation, jusqu’à la transformation de sujets en véritables marronniers. Même Grazia, qui avait fait en France une arrivée fracassante et révolutionné les codes du genre, voit ses ventes s’essouffler et tombe peu à peu dans le consensualisme qu’il combattait au départ.
A défaut d’être présents dans les magazines de mode, la créativité, l’audace et l’innovation ont opéré un glissement vers tous les domaines dits du « lifestyle », de l’architecture à la décoration en passant par l’alimentation. Tout comme la société aspire à un changement de paradigme, l’industrie de la mode se cherche et devra trouver un nouvel équilibre afin de perdurer. Il apparaît que le besoin de renouvellement des élites est un symptôme qui ne touche pas que la classe politique…
Un commentaire
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Sujet très instructif ! Sans être accro des dernières innovations technologiques j’avoue que je m’intéresse à l’innovation qui d’une certaine façon est un reflet de notre société.